Dans un monde où les troubles mentaux graves, comme la schizophrénie, la bipolarité ou la dépression sévère, sont largement traités par des psychotropes (antidépresseurs, antipsychotiques, anxiolytiques) une alternative émerge : les soins psychiatriques qui privilégient des approches non médicamenteuses. Ces protocoles désormais modélisés depuis près de 50 ans offrent une perspective prometteuse pour accompagner les personnes en souffrance psychique. Cet article explore leur fonctionnement, leur efficacité et leur potentiel à transformer la prise en charge des troubles mentaux graves, tout en adoptant une approche qui respecte et restaure le vécu ainsi que les besoins, la dignité et l’autonomie du patient.
Le fonctionnement
Traiter la folie différemment : Ces institutions de soins adoptent une approche holistique, centrée sur la personne. Parmi les pratiques courantes, on trouve :
- L’écoute active et le dialogue ouvert : Inspiré du modèle finlandais Open Dialogue, ce principe repose sur des rencontres régulières entre la personne, sa famille et une équipe pluridisciplinaire (psychologues, travailleurs sociaux, pairs-aidants). L’objectif est de co-construire un récit autour de la crise psychique, sans imposer de diagnostic hâtif ni de traitement médicamenteux. Des études, comme celles menées en Laponie occidentale, montrent que 75 % des patients atteints de psychose retrouvent une vie fonctionnelle sans recours systématique aux antipsychotiques.
- Les thérapies psychosociales : Thérapie cognitivo-comportementale, art-thérapie, méditation ou thérapie par le mouvement sont souvent utilisées pour aider les patients à gérer leurs émotions et à comprendre leurs expériences. Ces approches permettent de renforcer la résilience et de réduire les symptômes sans les effets secondaires des médicaments.
- Un environnement communautaire : Les centres comme Soteria offrent un cadre de vie chaleureux et non hiérarchique, où les patients vivent aux côtés de soignants et de pairs-aidants. Cette dynamique favorise un sentiment d’appartenance et de sécurité, essentiel pour surmonter les crises. Une étude de 2018 sur le modèle Soteria a révélé que 60 % des participants présentaient une amélioration significative sans recours aux psychotropes.
- L’implication des pairs-aidants : Les personnes ayant surmonté des troubles mentaux jouent un rôle clé. Leur vécu inspire confiance et montre que la guérison est possible. Ce modèle, popularisé par des initiatives comme Hearing Voices Network, aide à déstigmatiser les expériences psychotiques et à les normaliser.
Une étude de 2018 sur le modèle Soteria a révélé que 60 % des participants présentaient une amélioration significative sans recours aux psychotropes.
Étude de 2018
Des preuves scientifiques encourageantes
Les résultats de ces approches sont étayés par des recherches rigoureuses. Par exemple, une méta-analyse publiée en 2020 dans *The Lancet Psychiatry* a comparé les résultats des traitements sans médicament à ceux des approches médicamenteuses classiques. Les conclusions montrent que, pour certains troubles comme la psychose aiguë, les approches non médicamenteuses peuvent être aussi efficaces, voire plus, en termes de rétablissement à long terme et de qualité de vie. En Finlande, le modèle Open Dialogue a réduit de manière significative les hospitalisations et l’usage de médicaments, avec un taux de rétablissement de 80 % chez les patients suivis sur cinq ans.
Ces données ne nient pas l’utilité des médicaments dans certains cas, mais elles soulignent qu’une alternative est viable, surtout pour ceux qui ne répondent pas bien aux traitements classiques ou qui souhaitent éviter leurs effets secondaires. Ces centres offrent une prise en charge individualisée, respectant le rythme et les préférences de chaque personne.
Des expériences concrètes inspirantes
« Pour la première fois, j’ai senti qu’on m’écoutait vraiment, sans me réduire à un diagnostic »
Patiente
Des initiatives concrètes illustrent le succès de ces modèles :
- En Norvège le centre de Hurdalsjøen propose un programme sans médicament pour les troubles psychotiques, combinant thérapies alternatives, nutrition et activités physiques. Les témoignages de patients, comme celui d’Anna, une jeune femme ayant surmonté une psychose grâce à ce programme, montrent l’impact transformateur de ces approches. « Pour la première fois, j’ai senti qu’on m’écoutait vraiment, sans me réduire à un diagnostic », confie-t-elle.
- Au Royaume-Uni, des cliniques comme celle de Bradford intègrent des approches non médicamenteuses pour la dépression sévère, avec des résultats prometteurs : 70 % des participants rapportent une amélioration significative après six mois, contre 50 % pour les traitements médicamenteux standards.
- Les initiatives françaises : La France, avec son système de santé mentale riche en ressources publiques et associatives, n’est pas en reste et multiplie les initiatives pour promouvoir des approches non médicamenteuses, en complément ou en alternative aux psychotropes. Ces projets, souvent portés par des fondations et des associations, s’inscrivent dans la Feuille de route pour la santé mentale et la psychiatrie de 2018, qui vise à renforcer les soins ambulatoires, la psychoéducation et le rétablissement psychosocial, tout en réduisant la dépendance aux hospitalisations et aux médicaments. Une figure pionnière et emblématique est la Clinique de La Borde, fondée en 1953 à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher) par le Dr Jean Oury, neuropsychiatre et psychanalyste visionnaire. Ce lieu hors norme, qui accueille aujourd’hui 107 patients en hospitalisation complète et 30 en journée sous régime libre, est le berceau de la psychothérapie institutionnelle – une approche révolutionnaire qui transforme l’hôpital en un espace de vie communautaire, où soignants et soignés co-construisent les règles quotidiennes. Chez La Borde, les médicaments psychotropes ne sont pas bannis, mais remis en question de manière critique : ils ne sont prescrits qu’en dernier recours, avec une priorité donnée à l’écoute, à l’activité collective (cuisine, théâtre, ateliers artistiques) et à la lutte contre l’aliénation sociale. Inspirée par des figures comme Félix Guattari, cette clinique combat les préjugés sur la « folie » en favorisant l’hospitalité et l’ouverture au monde extérieur – philosophes, artistes et intellectuels y sont invités pour des échanges enrichissants. Malgré des défis financiers passés (sauvetage gouvernemental en 1990), La Borde reste un modèle viable, prouvant que l’humain prime sur le chimique.
À tenter de réinventer le monde il est possible d’y arriver
Mettre en place des centres où la priorité n’est pas dans le protocole pharmacologique demande des ressources : formation des soignants, infrastructures adaptées et sensibilisation des systèmes de santé. Cependant, les coûts à long terme sont souvent inférieurs, car ces approches réduisent les hospitalisations et la dépendance aux médicaments. De plus, elles répondent à une demande croissante de traitements plus humains et moins invasifs.
Mais certains défis persistent, comme la nécessité de convaincre les systèmes de santé traditionnels et de surmonter les réticences face à des approches non conventionnelles. Mais les succès observés dans divers pays, y compris en France, montrent que ces modèles sont non seulement viables, mais aussi reproductibles, avec un impact mesurable sur la réduction des réadmissions (jusqu’à 30 % selon la HAS).
Les centres psychiatriques où les traitements médicamenteux ne sont plus la clé d’entrée de la prise en charge représentent une lueur d’espoir pour des milliers de personnes confrontées à des troubles mentaux graves et qui subissent leurs effets secondaires parfois lourds et/ou invalidants. En plaçant l’humain au cœur du processus, ces modèles prouvent qu’il est possible de guérir sans s’appuyer uniquement sur des solutions pharmacologiques. Les preuves scientifiques et les témoignages convergent : ces approches fonctionnent, et elles redonnent aux patients autonomie, dignité et espoir. Dans un monde en quête de sens et d’écoute, ces centres nous rappellent que la guérison passe avant tout par la connexion, l’empathie et la confiance en la capacité de chacun à se rétablir.
Sources :
Crédit photo : Nicole Avagliano_Unsplash

